Depuis quelques semaines, les débats sur le collège sont nombreux et houleux. Je me décide enfin à donne mon opinion. Je préfère toujours prendre le temps, ne pas réagir à chaud, écouter les réactions et laisser “mûrir” mon avis. Voilà donc, en plusieurs épisodes, ma petite contribution aux multiples tentatives de démêler un peu cette fameuse réforme du collège.
Deux objets distincts : la réforme et les programme
Il faut déjà s’entendre sur ce dont on parle. En fait, deux “objets” sont en débat en ce moment : une réforme de la structure du collège et les nouveaux programmes. Ce sont deux choses différentes, liées mais à ne pas mélanger.
D’un côté on a la réforme du collège. C’est ce qui définit le cadre, l’organisation du collège. C’est là qu’on trouve les EPI (j’y reviendrai un peu plus tard), le nombre d’heures par discipline, l’accompagnement personnalisé… Ce cadre a vocation à être durable. L’objectif est de faire une réforme structurelle importante.
De l’autre côté, on a les nouveaux programmes. C’est là qu’on voit si on parle des Lumières en histoire ou pas, en quelle année on va se prendre le chou sur le sinus et le cosinus et si on va travailler par thème ou par genre littéraire en français. Les programmes changent régulièrement (un peu trop d’ailleurs, c’est toujours bon pour l’industrie des manuels scolaires, mais c’est un autre débat).
En gros on a donc deux questions à se poser :
- Comment travaille-t-on au collège ?
- Qu’est-ce qu’on apprend au collège ?
Deux questions et donc deux réponses…
D’ailleurs, il me paraît aussi important de rappeler que les programmes dont on parle ne sont pour l’instant que des projets et qu’ils sont susceptibles d’évoluer d’ici à leur mise en application.
Ici je parlerai surtout de la réforme de structure, qui me paraît plus fondamentale. J’évoquerai un peu les programmes mais c’est un peu délicat pour moi de donner une opinion sur les programmes en général, je ne suis vraiment capable de juger que les programmes de mathématiques.
On a tous un avis sur l’école…
Petite mise au point de départ, quitte à en hérisser certains : non, tout le monde ne peut pas avoir la même légitimité pour parler de l’école en général et du collège en particulier. Sous prétexte qu’on l’a tous connu, au moins en tant qu’élève, chacun s’autorise à avoir un avis tranché et à déclencher un débat passionné. Je suis désolée, mais c’est une erreur. Il se trouve qu’être enseignant c’est un métier. Nous sommes des spécialistes de l’éducation, pas les parents d’élèves (ils sont spécialistes de leur enfant), et encore moins les anciens élèves.
Je ne dis pas que les parents d’élèves n’ont pas le droit d’avoir un avis. Bien sur qu’ils en ont un, c’est normal, et il est essentiel de savoir l’écouter. Cependant, il faut aussi accepter que la vision professionnelle des enseignants a de la valeur, et que non, M. Tartempion (ou M. Bruckner) n’est pas forcément en mesure de juger les tenants et les aboutissants d’une réforme qui ne concerne pas son domaine d’expertise.
Personnellement, j’ai une opinion sur ce qui est bien ou non pour ma fille de 10 mois. Mais force est de reconnaître que l’assistante maternelle a qui je l’ai confiée n’a pas son pareil pour lui faire faire de longues siestes ou lui apprendre à ne pas crier. C’est son métier de s’occuper des bébés, pas le mien (j’ai bien assez à faire avec mes ados rebelles).
Novlangue et pédagogistes
Deuxième mise au point : je ne suis pas mathématicienne, je suis pédagogue. Mon métier, c’est d’apprendre des maths à des enfants pour les aider à construire leur pensée, pas de faire de belles maths compliquées et poétiques. Alors pour certains, c’est une tare. Ils diront que je suis “pédagogo” ou “pédagogiste”. Ok, ça me va. Si c’est ce que vous pensez, vous pouvez quitter ce blog tout de suite, ça vous évitera des boutons.
C’est curieux comme le mot “pédagogue” ressemble à une insulte en France. Ah, ces pédagogues, créateurs démoniaques d’une “novlangue” dont le seul intérêt serait de leur faire grossir les chevilles ! (au passage, soulignons que “novlangue” n’a pas tout à fait le sens que lui attribuent ceux qui l’emploient dans ce contexte, relisez 1984, ça ne peut pas faire de mal par les temps qui courent).
Pourtant, on nous demande d’être des professionnels, des gens sur qui on peut compter, des gens qui savent de quoi ils parlent. Et c’est la moindre des choses. Mais n’y a-t-il pas quelque chose de schizophrène à vouloir d’un côté que l’on soit des spécialistes pointus et en même temps nous interdire d’avoir un langage précis et spécialisé ?
Existe-t-il un métier qui ne possède pas son jargon ? Ça fait partie du jeu. C’est parfois utile et parfois stupide, mais ça existe dans tous les domaines. En l’occurrence pour l’éducation, ça a du sens. Toujours parce qu’enseigner c’est un métier, et que quand on pense son enseignement, on a besoin d’un vocabulaire précis et spécifique pour dire les choses. Sans les mots on ne peut pas penser, alors on a un jargon. Je ne crois pas que ce soit un problème en soi. Il faut juste accepter que de l’extérieur tout ne soit pas parfaitement intelligible et il faut nous faire confiance.
Quand les bisounours se donnent la main
Finalement, je suis convaincue que le noeud du problème est là : il faut nous faire confiance. Tous les parents veulent ce qu’il y a de meilleurs pour leurs enfants. Mais moi je veux que mes élèves réussissent aussi. On est du même côté, on veut tous aider les enfants à grandir le mieux possible. Ça fait un peu bisounours dit comme ça, mais vraiment, si vous nous faisiez tous confiance, notre métier serait tellement plus facile et plus efficace !
Je lis beaucoup de commentaires qui parlent de l’autorité du prof qui aurait disparue. Ça reste à prouver, mais admettons. Comment pourrions nous avoir de l’autorité si dès le départ les parents nous regardent avec défiance ?
Partez du principe qu’on a le même objectif. Et quand vous êtes perdus, que vous ne comprenez pas, venez nous voir, demandez nous. Entrez dans l’école et venez comprendre. Il parait qu’on aime bien expliquer des trucs, nous les profs !
De notre côté, on essaye d’être disponibles (dans la limite du raisonnable), transparents et explicites. C’est pas gagné mais on y travaille, je vous assure. Il y a beaucoup d’angoisses chez les profs aussi alors ce n’est pas évident.
En fait, les parents qui s’investissent sont ceux avec lesquels on travaille le mieux, parce qu’on se connaît et que c’est tellement plus simple de communiquer quand on se connaît. Mais surtout parce qu’ils comprennent mieux la réalité et les enjeux. Le dialogue est plus facile, plus ouvert, et les angoisses disparaissent de chaque côté.
Dans le prochain épisode, on rentre dans le concret, promis !