Les événements de ces derniers jours ont suscité beaucoup de réactions et beaucoup d’émotions. Il y a des milliers de choses qui ont été dites, et encore plus qui restent à dire. Je vais me contenter d’aborder un sujet collatéral, d’abord parce que je préfère parler de ce que je connais vraiment, et ensuite parce que ça me tient à cœur : la minute de silence dans les collèges. Je ne parlerai pas ici de l’école en général parce que je crois que chacun a sa spécialité. La mienne, c’est le collège et je ne me sens pas compétente pour analyser le comportement d’autre tranches d’âges.
Petite revue de presse malodorante
Jeudi dernier était une journée de deuil national, marquée par une minute de silence à 12h. Une minute impressionnante de solennité. Une minute durant laquelle tout le pays s’est arrêté. Une minute qui devait aussi bien sûr avoir lieu dans les établissements scolaires. Dès le lendemain les articles sur des incidents dans les écoles fleurissent dans la presse.
Le Figaro titre “Charlie Hebdo : ces minutes de silence qui ont dérapé dans les écoles” (1). Dans l’article, on parle de “territoires où les tensions religieuses sont vives” et plusieurs exemples décrivent des situations ponctuelles narrées sur les réseaux sociaux. Il va sans dire qu’on ne trouve pas de chiffres : ces incidents sont-ils si fréquents qu’ils méritent un traitement médiatique ? Le journaliste parle quand même des “vertus de la pédagogie”… pendant 2 lignes.
De son côté, Le Monde explique que “à Saint-Denis, collégiens et lycéens ne sont pas tous “Charlie”” (2). Un titre que je n’ai même pas envie de commenter tant ce qu’il sous-entend me rend furieuse. On note quand même en fin d’article la présence des réactions du ministère et des syndicats.
Il semble que la ville de Saint-Denis ait été le centre de la France ce jour-là puisque c’est aussi le lieu choisi par Metronews pour son article : “Déni, colère, incompréhension : quand collégiens et écoliers réagissent à l’attentat contre Charlie Hebdo” (3). Ici, on oppose les réactions mitigées des jeunes Dyonisiens à celles des gentils enfants d’Angers qui se trouvent “à plus de 300 kilomètres de Saint-Denis”.
De mon point du vue, on est juste face à des jeunes qui s’interrogent (ce qui me paraît plutôt sain) et qui sont tiraillés entre des injonctions contradictoires. Ceci dit, je ne suis pas sociologue, et je crains de ne pouvoir vraiment expliquer tout ça clairement (et posément). Peut-être plus tard, quand les choses se seront un peu calmées. Alors je vais prendre le problème par un autre versant que je maîtrise : l’adolescence.
C’est quoi un ado ?
Un ado, c’est avant tout un être en développement. Ce n’est pas un adulte et on ne peut donc pas lui en vouloir de ne pas réagir en adulte. Ça paraît bête à dire comme ça, mais face à ce qu’on peut lire ces derniers jours il me paraît important de le rappeler.
Un ado, c’est quelqu’un qui vit une période de crise : il passe de l’état d’enfant à l’état d’adulte. Pour cela il doit apprendre à savoir qui il est (ça veut dire qu’il ne le sait pas encore). Avant il était un enfant, il écoutait ses parents, ses profs, et il se disait qu’ils avaient raison. Parce que les adultes savent.
Là il est en train de se rendre compte que ce n’est pas si simple, que parfois les adultes se trompent ou lui mentent, que la réalité est complexe avec des opinions légitimes contradictoires, et surtout il se rend compte qu’il a le droit de ne pas être d’accord.
Il va donc avoir tendance à rejeter tout ce qui lui paraît autoritaire parce qu’il veut décider par lui-même. L’ennui c’est qu’il n’est pas encore adulte : il sait qu’il n’est pas d’accord pour qu’on lui impose une façon de penser, mais il ne sait pas ce qu’il pense. Alors il a des réactions surprenantes, parfois violentes. Mais il cherche à comprendre, il cherche à faire la part des choses et à savoir qui il est dans ce monde pluriel.
Souvent je trouve que les adultes ne se rendent pas compte à quel point les ados sont encore un peu des enfants. C’est comme si on attendait d’eux qu’ils comprennent tous les enjeux de notre monde du jour au lendemain, que d’un coup ils aient une grande culture et une analyse juste et intelligente. Comme si on voulait qu’un jour ils soient des enfants innocents et insouciants, surprotégés par leurs parents, et que le lendemain ils soient mâtures et réfléchis. Un peu étrange comme injonction…
Pour finir ce petit portrait de l’ado, je tiens à insister sur le fait que l’ado est en pleine évolution. On ne peut donc pas, en le regardant à un instant donné, préjuger de ce qu’il sera 10 ou 15 ans plus tard. Dire que “vu son comportement, on ne pourra rien en tirer” ou que “il ne pourra jamais réussir dans la vie” n’a absolument aucun sens ! On peut être complètement paumé à 14 ans, enchaîner les conneries et être en échec à l’école et devenir un adulte raisonnable et responsable. Grandir c’est traverser des crises.
Une minute de silence, une minute sans le sens
Alors qu’est-ce qu’il se passe quand on demande à cet ado de faire une minute de silence ? C’est un petit peu comme quand on veut nourrir un bébé qui commence à savoir tenir sa cuillère tout seul : si vous cherchez à le nourrir vous même il vous envoie la purée à la figure, parce qu’il veut se débrouiller. Et bien, notre ado qui veut penser par lui-même il va tout simplement envoyer promener l’adulte qui cherche à lui imposer une minute de silence. Et plus l’adulte fera preuve d’autorité plus le rejet sera fort.
Je trouve d’ailleurs que c’est faire preuve d’intelligence que de refuser une minute de silence ainsi imposée. J’irais même jusqu’à dire que les jeunes qui la rejettent au nom du refus d’une forme de pensée unique sont bien plus réfléchis que les adultes qui la font sans se poser de question.
Quelle signification mettons nous tous derrière une minute de silence si nous sommes prêts à demander aux jeunes de la faire de force ?
Parler plutôt que de se taire
Bien sur, tous les jeunes ne rejettent pas la minute de silence. Tout dépend de leur propre sensibilité et de ce qu’ils en comprennent, donc tout dépend de ce qu’on leur explique. Il faut les convaincre de l’utilité de cet instant de recueillement. Certains en auront déjà parlé avec leurs parents et n’auront aucun problème avec ça. D’autres seront un peu perdus et auront besoin qu’on les aide à comprendre.
“Vous savez, on a fait une minute de silence dans les écoles. C’est une erreur. Il faut parler avec les enfants ! Il faut qu’un prof rentre dans la classe et dise : “j’ai été… je suis… je suis chagriné, j’ai mal de savoir ce qui est arrivé.” Il faut essayer de prendre la parole des enfants, pas leur dire : “il faut être triste maintenant”. Mais il faut leur expliquer comment ils arrivent à une tristesse.
Et je crois que nos écoles aujourd’hui doivent être des écoles, non seulement pour apprendre, mais des écoles de la citoyenneté. C’est que comme cela qu’on va s’en sortir, que comme cela !”
Daniel Cohn-Bendit, le dimanche 11 janvier 2015
Je ne suis pas face à des élèves en ce moment, je n’ai donc pas pu échanger avec eux sur cette minute de silence. Mais il y a quelques temps, au moment de l’affaire Merah, une minute de silence avait déjà été décrétée dans les écoles en mémoire des enfants victimes de la fusillade de l’école juive Ozar-Hatorah. J’avais été quelque peu désarmée face à leurs questions :
“Mais madame, ça sert à quoi de faire une minute de silence ? Eux ils sont morts, ça change rien.”
“Si on fait une minute de silence pour les enfants de l’école juive, pourquoi on fait pas pour les enfants palestinien qui meurent à cause de la guerre ?”
“Et Mohamed Merah, il est mort aussi. Il a été tué par la police, c’est pas juste non plus. Pourquoi on fait pas une minute de silence pour lui ?”
“Madame, on peut pas faire une minute de silence pour tous les gens qui meurent !”
Pas toujours facile de répondre, mais dans le fond, ne trouvez-vous pas que leurs remarques sont terriblement justes et intelligentes ?
Alors j’ai essayé de leur expliquer. Je ne m’étais pas préparée à ça mais on a discuté. Finalement, j’ai été débordée par mes émotions et les larmes me sont montées aux yeux. C’est à ce moment là qu’ils ont accepté de faire une minute de silence. Peut-être parce qu’ils ont vu la sincérité de l’adulte devant eux. Ou peut-être par respect pour mon émotion et pour me laisser reprendre mes esprits.
Ensuite on a continué à parler. Je ne crois pas avoir vraiment réussi à leur faire comprendre pourquoi la minute de silence est un symbole fort. Mais je pense leur avoir permis d’avancer un peu dans leurs réflexions. Et qu’est-ce que l’éducation si ce n’est les aider à se forger leurs propres opinions ?
L’école, oui, mais pas que
Aujourd’hui, le ministère de l’éducation nationale a organisé des rencontres avec les syndicats des profs, des lycéens et les associations de parents d’élèves “afin de préparer une mobilisation renforcée de l’Ecole pour les valeurs de la République” (4).
Oui, l’école a un rôle essentiel, et je suis ravie qu’on l’entende tant ces derniers jours. L’école, si décriée ces derniers temps, semble d’un coup fondamentale aux yeux de tous. La confiance, qui manque cruellement d’habitude, est revenue. Ça fait du bien, on se sent moins seul et j’espère que ça va durer.
Mais il ne faut pas imaginer que l’école va résoudre tous les problèmes. L’école ne peut à elle seule lutter contre toutes les inégalités sociales, contre tous les stéréotypes, contre toutes les injustices de notre société. J’aimerais pouvoir dire le contraire (même si ce serait une sacrée responsabilité !). En tant que prof, j’aimerais pouvoir me dire que je vais aider tous mes élèves, que grâce à moi ils vont devenir des citoyens capables de réflexion, qu’ils ne se laisseront pas entraîner dans des facilités, qu’ils seront brillants et éclairés (et tant qu’on y est qu’ils seront heureux, auront beaucoup d’enfants et des petits oiseaux qui chantent autour d’eux). Dans la vraie vie ça ne se passe pas comme ça. Nous sommes bien peu de choses, un grain de sable dans la vie d’un jeune. On espère lui permettre de faire un petit bout de chemin, c’est déjà bien. Le reste c’est à tous les niveaux de la société que ça se joue.
C’est à tout le monde de se remonter les manches.